Le papier et le corps : pas de deux

Dans la grande salle rouge de RECIF, soudain très petite quand les rouleaux de papier sont étendus au sol, on se retrouve pour passer ensemble un dimanche d'échange et de créativité. Au programme, c'est très simple : notre création collective, pour le parcours Georges Seurat, sera une fresque en papier où on jette comme à la mer des bribes de souvenirs, des fragments pleins d'émotions qu'on partage par les mots avant de leur donner corps par la peinture.

Razija et Claudia sont les premières sur place : le film est encore frais dans notre esprit, et la discussion devient vive. Comment comprendre la mort de la tortue ? Comment comprendre que la mort amène la métamorphose ? Noémie refuse encore d'accepter que la tortue ait dû se métamorphoser pour rester avec l'homme. Lyudmyla a adoré la scène finale, lorsque justement la femme redevient tortue : elle est fondamentale, cette scène, car elle transforme la mort initiale en métamorphose.

On discute de ce que ça implique, d'établir une relation humaine, de fonder un foyer. On est nous-mêmes, mais différemment. Certaines refusent, mais certaines comprennent : être en relation avec les autres, c'est toujours s'adapter, trouver un terrain commun. Claudia souligne que c'est la tortue, d'ailleurs, qui a empêché l'homme de quitter l'île, malgré ses tentatives. Les deux personnages ont dû faire des compromis, finalement, les deux ont pardonné et accepté que leurs destins étaient liés, pour la vie, pour un temps.

Et puis Sakineh soulève un point intéressant : la solitude de l'homme sur cette île, au début, il est obsédé par le départ, il ne peut accepter de rester là. L'île lui est hostile et de toutes ses forces il veut la quitter. Mais quand il trouve sa partenaire, alors l'île devient son foyer. Ce qui compte ce n'est pas tant le lieu mais d'être bien accompagné.

Le départ du fils a tiré les larmes à plusieurs d'entre nous, les mères surtout. Claudia mentionne comme cette scène l'a émue, comment elle l'a projetée dans ce futur pas si lointain où elle devra accepter de laisser s'envoler ses enfants. Le cycle de la vie, n'est-ce pas ? On arrive, on se rencontre, on est là pour un temps, on se sépare, et la vie continue - si ce n'est pas pour nous, ce sera pour les autres.

La question que pose Eryna est restée en suspens, d'ailleurs : où part le jeune homme, lui qui est né d'une tortue et d'un homme ? Il part avec trois tortues vertes, mais pour quelle destination ? Est-ce qu'il restera en mer, ou bien visera-t-il une terre lointaine ? La scène de son départ, lui qui s'en va en nageant, fait miroir à la scène d'ouverture, quand la tempête brise la chaloupe de son père et le précipite dans la mer.  

Claudia et Sakineh mettent des mots sur le cycle de la vie que nous a offert La Tortue rouge. Mais sur les fresques, il n'y a pas seulement le film qui prend corps.

 

Marharyta dessine une femme face à une cloche en verre où se trouve la nature. Elle explique : on peut décider, soit on laisse la nature sous la cloche, loin de nous, soit on brise la cloche et on ne fait plus qu'un avec la nature. Cette grande thématique de notre relation à la nature nous rappelle notre première sortie, le spectacle Dimanche. On retrouvera de la main de Marharyta également, la scène de la grand-mère qui finira électrocutée. Lucie plonge le corps-terre de la comédienne dans une vague gigantesque, sur fond de ciel apocalyptique.

Je peins pour ma part la scène du début, lorsque le corps de la femme encore inconsciente apparaît blottie dans la carapace brisée de la tortue : ce moment qui nous a toutes bouleversées, et qui n'a trouvé, pour moi, sa résolution seulement dans la métamorphose inverse après la mort de l'homme.

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