Post "Partir" de Jean-Daniel Piguet

Présent·es : Danièle, Thierry, Jean-Daniel, Emilie, Teka, Grace, Zara, Nadia. Alba, chercheuse à l’HEMU, nous rejoint pour poursuivre le travail de recherche de Bérangère et Sarah.

 

La levée des restrictions nous permet de nous retrouver, après quelques échanges téléphoniques et message vocaux en amont. Nous pouvons enfin parler du spectacle vu il y a déjà 4 mois (Partir de Jean-Daniel Piguet, vu le 4 novembre 2021 à l'Arsenic) et introduire le dernier versant du parcours que représente la création collaborative, avec Thierry de l’HEMU, pour les personnes volontaires. 

Une participante constate, une fois tout le monde assis, que les hommes sont d’un côté, les femmes de l’autre, comme très souvent dans ce groupe. Jean-Daniel se lève pour échanger avec Nadia, ce qui mixe l’espace, tout comme le temps de parole qui sera plus équitablement partagé que d’autres fois lors de cette soirée. 

Et, last but not least, Nadia nous a préparé un couscous, tout un repas prévu pour tout le monde, suite à sa proposition d’il y a quelques mois. Cette cuisinière professionnelle a tout organisé : petits feuilletés d’apéritif, couscous au poulet délicieux, tiramisu, thé à la menthe et biscuits marocains. Lire et Ecrire propose les locaux, la vaisselle, les boissons, l’ambiance est à la fête.

De petites cartes bleues en grande quantité sont distribuées aléatoirement, avec quelques mots notés : « un rire », « une peur », « un personnage », « une lumière », « un bruit », « un maquillage », « une réaction du public »… Sachant qu’on peut tricher, supprimer, voler ou échanger des cartes avec ses voisins. Il s’agira de se remémorer des éléments du spectacle avec ces cartes comme prétexte au souvenir, plus précis que « j’ai aimé/c’était bien ».

Nous commençons par un tour de table afin de reprendre le fil de notre histoire et nous présenter à Alba. Une participante propose que nous applaudissions à la fin de chaque présentation. Le jeu se transforme : c'est à celui ou celle qui applaudit le plus fort de prendre le relais de la présentation. Nous mentionnons chacun·e depuis quand nous avons rejoint le projet, pour certain·es cela fait 2 ans, un projet mis à mal par le COVID mais qui perduré à travers le temps.

Nous prenons ensuite un tour de parole aléatoire pour partager les souvenirs du spectacle : ce que nous avons vu, pensé, senti, en la présence du metteur en scène qui peut nous raconter en partie le processus de création et certains choix qui ont été posés : 

 

- Il y avait un homme au centre de la scène, il restait là tout le temps, c’était le père qui était à l’hôpital 

- Personne ne s’approchait vraiment ni ne le touchait

- Dans les gestes, à un moment il fait le geste de nager le crawl, et le fils reprend ce geste avec lui, c’est très fort ce lien sans se toucher

- A la fin il y a ce long face à face silencieux du fils et du père, finalement il lui enlève un cil

- Il y a comme une petite danse, tout le monde tourne autour de cet homme, ce n’est pas vraiment une ronde, mais plutôt un centre de gravité des liens entre les personnages, comme des planètes qui tournent autour de lui

- On s’est demandé à la mise en scène comment on pouvait le faire disparaitre pour symboliser la mort : il se cache derrière un bout du décor, mais il y a toujours quelque chose qui dépasse, il court pendant un NOIR, mais on entend ses pas, finalement on a décidé de ça, juste il sort du plateau et ça fait un vide au centre

- J'y ai beaucoup repensé après, j’étais mal, je suis restée avec ton père, là, je pensais à lui tout le temps pendant deux jours, comment il est mort

- Moi aussi j’y ai beaucoup repensé après, ce n’était pas très confortable, et en même temps je me suis dit c’est peut-être une fonction de l’art ça, comme une graine de moutarde, on met ça et après ça devient autre chose, c’est le spectateur qui la porte et la transforme

 

- J’étais tendue

- Je me souviens qu’on avait peur d’être tristes, de ressentir des émotions fortes, des souvenirs, on avait prévu nos mouchoirs. Finalement c’était pas comme ça, on a ri, observé, senti des choses différentes

- Moi j’ai senti des émotions mélangées à chaque fois, on ne savait pas trop si on devait rire, et il y avait des moments drôles, mais c’est un peu pas poli de rire alors que la situation est dramatique

- Ça c’était vraiment important pour nous qui faisions le spectacle, de ne pas tomber dans un truc très mélodramatique, mais vraiment faire apparaître les émotions mélangées qui existent dans ces moments-là

- Le rire dans le public était un peu déstabilisant ce soir-là, entre le rire convenu, le rire forcé, le rire nerveux, le rire qui masque la gêne, le rire de protection, le rire sur commande

- Je me souviens du rythme, c’est saccadé pendant le moment de vidéo, ça monte, la musique aussi devient très forte, c’est presque insupportable

- Il y a aussi ce projet-là, de faire quelque chose avec la vidéo, le fils et le père, dans ce moment de la vie

 

- L’infirmière elle donne vraiment de son cœur, elle est attentive, elle propose un verre d’eau, elle est toujours là, elle est douce, elle chante

- À un moment, l’infirmière est comme un robot, elle avance avec une voix et une manière de parler décalée d’elle-même

- Moi je travaillais en EMS, j’ai vu de tout, des gens qui font ça comme des machines, des gens très présents. C’est dur comme travail. Une fois un résident m’a dit qu’il sentait la fin, il m’a demandé de prier, même en espagnol pour lui ça allait. Alors j’ai fait ça. Des fois quand tu travailles là c’est plus qu’un métier

 

- Quand il danse, c’est comme s’il nage, s’il cherche l’espace, ça fait ça aussi avec la morphine, quand il commence à dire des choses bizarres ou incohérentes, il s’approche tout près du public, on ne sait pas si c’est lui qui délire ou nous qui ne comprenons rien

- Le tapis vert, c’est le vert de l’hôpital, mais il se transforme aussi, le vert végétal, des collines

- C’est comme un portrait cette tenture fixe, on a pensé à ça en le faisant, un portrait de cet homme à ce moment de sa vie, d’ailleurs ceux qui l’ont connu ont trouvé que le comédien ressemblait vraiment à mon père, c’est surprenant. Et les filles du comédien qui ont vu le spectacle étaient très émues, c’est comme s’il y avait un déplacement du personnage au comédien

 

- Dans notre pays au Maroc c’est pas possible quelqu’un qui meurt tout seul à l’hôpital, on doit le garder à la maison et tout le monde vient et le soutient, et est autour de lui. Moi mon papa c’était ça, et on pleure, on le caresse, on lui dit des mots d’amour. Là dans le spectacle ton père il est très seul

- En même temps dans mon pays aussi c’est comme ça, en Afrique de l’Ouest, mais des fois la personne qui meurt c’est lourd pour elle d’avoir tout le monde autour, elle ne peut pas mourir tranquille, ça la retient et tous ces gens qui pleurent pour elle, c’est encore plus dur. Au moins à l’hôpital tu meurs tranquille quand tu veux. 

- C’est dur de parler de ces choses-là, on est des personnes assez pudiques dans ma famille alors le spectacle il reflète cette pudeur

- Cette question de la pudeur c’est difficile. Je suis allée récemment à un enterrement, que certains ont trouvé impudique. Mais comment on peut dire les choses importantes alors si on doit rester pudique, convenu ? C’est très culturel aussi

 

Un bref retour sur l’activité nous enseigne que ce sont toujours les mêmes ingrédients qui font théâtre : le texte, la voix, la lumière, l’espace, les costumes, le public, le chant, la danse. Jean-Daniel nous explique que le 4ème mur peut ête présent, isolant la scène des spectateurs, ou au contraire absent, permettant aux personnages d’apostropher le spectateur. Il dit aussi que le théâtre « c’est comme la cuisine », parfois tu veux juste mettre des carottes et du sel, pour bien sentir le goût, très sobrement, et parfois tu vas donner plein de directions et en mettre plein la vue.

La mémoire n’a pas posé tant de problème pour partager cette discussion d’1h30, quatre mois après le spectacle, dans ce groupe constitué. Une participante dit : « ah moi la prochaine fois que j’irai au théâtre je ferai plus attention pour regarder chaque élément ». Elle se souvient qu’elle allait au théâtre quand ses enfants étaient petits, mais ces derniers temps elle n’y va plus, si ce n’est avec ce groupe.

Nous dégustons le couscous tandis que Thierry fait part du projet de création collaborative, pour ceux qui veulent, afin de valoriser le vécu et tout ce que le groupe a partagé : un atelier d’écriture, une histoire bruitée, un livre sonore. Un formateur de Lire et Ecrire accompagnera le projet, dates sont prises dans le calendrier.

La Marmite invite les participant·es à rejoindre le Chœur Coriolan une fois le parcours terminé, pour continuer à voir des spectacles et se rencontrer autour de l’art.

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