"L'Apprenti sorcier"

Un message vocal rappelle la sortie prévue. Nous arrivons à la fontaine du Flon 30 minutes avant le spectacle, et abordons les récentes péripéties de notre groupe, les attentes, les liens, le care, la suite du projet.

Les deux participants arrivent, l’un a invité deux amis mais ils tardent à arriver. Nous présentons au vigile le laisser-passer accompagné du document d’identité, ce qui occasionne un léger stress pour tout le monde (« mon passeport est périmé, je ne sais pas si ça va aller », « j’ai mis où ma carte », « comment cliquer sur le téléphone alors que je tiens ma carte d’identité de l’autre main? », « est-ce que si je présente mon Swiss Pass ça suffit ? »).

Nous nous sentons attendus à l’accueil où on nous remet des billets gratuits, nous attendons encore un moment les amis du participant puis nous descendons de noirs escaliers pour accéder au BCV Concert Hall de l’HEMU. Choisir une place, ni trop devant ni trop derrière, trouver les toilettes, réserver les places à nos collègues, choisir à côté de qui on sera assis.

Les musiciens, assis au parterre devant le public, chauffent aveuglément leurs instruments dans une cacophonie rare.

Thierry surgit d’une porte dérobée et vient saluer les participants, plaisantant sur le choix du siège qui serait « exactement là où regarde le chef d’orchestre quand il raconte ». La participante est prête à changer de place, mais elle doute de la véracité de l’anecdote juste à temps. L’amie du participant tarde, elle se trouve à l’EJMA au lieu de l’HEMU, échange de messages. Il y a une cinquantaine de personnes, quelques enfants.

Nous observons les musiciens, cherchant si « nos » trois musiciens rencontrés sur le parcours sont là (trouver du connu serait tellement rassurant, confortant, agréable). L’une jurerait que oui, deux autres que non, car il était à la clarinette et là c’est une trompette. Nous échangerons ensuite nos impressions : tout le monde est Blanc, la plupart des violonistes sont graciles et finement vêtues. Le dress code est « habillez-vous comme tous les jours », afin d’éviter la frontière du smoking noir et blanc qui éloigne le public. Mais il est vrai que le « tous les jours » n’est pas le même pour tout le monde, ils sont élégants, parfois perchés sur des talons ou élégamment maquillés…

Il y a un jeune homme plus trapu qui passe du xylophone de compétition à la grosse caisse qui fait vibrer toute la salle. Peut-être à peine plus de femmes que d’hommes, alors que, nous en parlerons plus tard, il y a quelques centaines d’années les femmes ne pouvaient pas même jouer de la musique, sans parler d’en composer. Si les deux apprentis chef d’orchestre sont des hommes, Thierry nous décrit une politique volontariste dans le milieu : concours seulement pour les femmes, parité pour les sélections, ce qui secoue le métier…

Une violoniste blonde se lève, donne le LA, et soudain tous les sons convergent et s’harmonisent.

Un grand jeune homme en chemise bleue s’avance et commence à nous raconter la grotte, comme l’escalier noir que nous avons descendu, les gouttes d’eau que l’on entend avec les cordes pincées du violon, il nous décrit un univers imaginaire que l’on retrouve dans les sons, les émotions, les mouvements de personnages. Fluide, il circule d’une saignée dans le public jusqu’au pied de la scène vers le basson, tout en parlant, répondant à l’orchestre dans une partition « parlée-jouée » très bien rôdée.

Il propose des jeux de lumière, puis nous fait réécouter le morceau sans intervenir.

En interaction avec le public, il résume l’histoire, donne des pistes puis fait jouer des sons tapés, chantés ou soufflés selon les rangs. Une volontaire de 9 ans sera notre chef temporaire, désignant du doigt les rangées qui jouent, puis arrêtant les sons. Une décision et une communication intenses qui disent déjà long sur le travail du chef d’orchestre.

 

Lors de cette écoute, la générosité du nombre d’instrumentistes et l’accord des sons est une émotion aussi concrète que la narration qu’elle souligne. La concentration des musiciens, leurs échanges de regards, les mouvements du chef d’orchestre, la préparation avant une attaque, tout est spectacle.

Parfois des enfants courent.

Nous reconnaissons les thèmes, mais aussi les sons dont nous avons parlé et que nous avons déjà entendus : plaisir de retrouver du connu, la répétition est tout sauf lassante.

 

Après de généreux applaudissements, le public s’égaye. Une jeune femme nous rejoint : c’est l’amie du participant qui a pu entrer dans la salle un peu après. Nous nous présentons, puis nous parlons des deux prénoms de ce participant, de son choix de se présenter sous tel ou tel, et à ce moment-là il nous dit qu’il en a un troisième, son « prénom de Blanc » : Didier, mais celui-là il l’a laissé tomber quand il a compris que dans son pays « ils recopiaient tout ».

Nous profitons de ce moment informel pour aller découvrir les percussions : trois timbales en cuivre, fausse peau en plastique, dureté et qualité des baguettes, jeux de tension, production hollandaise. Et la peau naturelle de la très grosse caisse, que la participante fait sonner avec plaisir. Le percussionniste nous parle de Berlioz qui avec quatre timbales dans sa Symphonie Fantastique (1830) « envoie tout ce qu’il peut ». Il définit aussi ses instruments par la puissance phonique qu’ils peuvent atteindre, et précise que la pièce que nous avons entendue est censée comporter 5 percussionnistes et non pas 2 comme ce soir dans sa réduction.

Thierry nous présente les deux apprentis chefs d’orchestre, nous mentionnons les notions d’écoute, direction, taille d’orchestre, guidage simultané ou anticipé (à la berlinoise), et la baguette de chef circule, avec sa lourde ampoule lestée côté main. Nous visitons les modestes loges, attribuées aux chefs tandis que les musiciens se contentent du couloir ; la scène et ses rampes de lumière, les orientations Jardin et Cour.

 

Thierry nous présente finalement la régie Lumière avec la régisseuse qui nous explique en quoi consiste son métier : des branchements, du code informatique, des ambiances. Un métier de l’ombre qui lui va bien. Les murs eux-mêmes de la salle peuvent se transformer pour atténuer les sons, selon la quantité de musiciens, et le nombre de décibels atteints.

 

Avant de sortir, un participant s’installe au piano à queue et me demande de le prendre en photo alors qu’il fait semblant de jouer, grand sourire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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